Le goût du cinéma et le plaisir de filmer se sont invités assez tôt dans ma vie. Enfant, nous allons chaque week-end au vidéoclub du quartier avec mes parents. On emprunte en général un film, parfois deux. Là, je passe des heures au milieu des étagères remplies de VHS, le choix n’est pas évident. Plus tard, à l’adolescence, ma tante m’offre un caméscope Hi8, c’est ma première caméra. En terminale, je tourne un court-métrage dans le cadre de l’option cinéma-audiovisuel du lycée. Cette même année, je bosse comme pigiste au Journal de Saône-et-Loire. Je découvre l’organisation d’un quotidien régional et l’ambiance des salles de rédactions : le labo photo, les réunions de rédac’, l’odeur du tabac froid. Je me prends pour un reporter. Les années suivantes, je continue à filmer, un peu au hasard, des images du quotidien, des fêtes, des moments partagés entre amis, en famille. A l’époque, je ne me doute pas que la passion du cinéma peut mener à un métier.
Après le bac, je ne sais pas trop quelle filière choisir, ni vers quel métier m’orienter. J’étudie finalement à Sciences-Po Lyon, qui offre un large choix de matières. J’approfondis mes connaissances en journalisme, je découvre la radio, et m’exerce plus assidument à la photographie. C’est lors de ce cursus que je découvre le film documentaire. Après un master 2 « Journalisme à l’international », et un stage de quatre mois au Sénégal au sein du journal Le Quotidien, je m’inscris dans une école de cinéma documentaire à Barcelone, l’Observatorio de cine. J’ai envie d’apprendre vraiment à filmer, et je veux raconter des histoires en prenant plus de temps qu’en presse écrite quotidienne. « Un film à voir chaque jour » nous conseille le professeur. En classe, je découvre l’histoire du documentaire, les théories du montage ; des intervenants viennent nous parler du son, de la lumière, de la prise de vue. Cette année est une vraie découverte, une aventure intellectuelle à l’ébullition collective rare. En parallèle des cours théoriques, je co-réalise mon premier film, Pyxis, produit dans le cadre de cette année d’études. Nous suivons Manzano qui, comme chaque samedi, s’assoit sur sa terrasse avec son verre de champagne, il regarde le ciel, en attente d’on ne sait quoi. Pyxis voyage dans plusieurs festivals de cinéma en Europe.
A la fin de l’école de cinéma, je rentre en France et je commence à animer des ateliers de cinéma avec des jeunes du quartier des Minguettes à Vénissieux. Je les accompagne sur plusieurs mois à la réalisation de deux courts-métrages. En parallèle, je m’inscris dans un master 2 « Etudes Cinématographique », option recherche, à l’université Lyon 2. Dans ce nouveau cadre étudiant, je réalise mon deuxième film, Les yeux des autres, la tête ailleurs, qui interroge le rôle et la place du cinéma en Afrique. Tourné au Burkina-Faso, autoproduit, il est diffusé par TV5Monde et Canal France International. En m’installant à Lyon, je retrouve deux vieux copains de Sciences-Po qui ont suivis eux aussi des études dans le cinéma documentaire. Nous créons ensemble La Société des Apaches, une société de production de films documentaires. Mes deux films suivants sont tournés en Espagne. Avec No es una crisis, nous expérimentons la forme web-documentaire pour raconter la crise économique de 2008 et le mouvement des Indignés apparu à Madrid en 2011. Diffusé en licence libre, No es una crisis est fabriqué en partenariat avec plusieurs médias français et européens : Médiapart, Courrier International, Le Soir, eldiario.es, Usbek et Rica. Cinq ans plus tard, le mouvement des Indignés a muté, et un parti politique est né, Podemos. Nous retournons à Madrid et rencontrons Miguel, militant novice de Podemos. Dans Toujours le Printemps, un film de 52 minutes, nous filmons Miguel et ses camarades de Madrid dans une campagne électorale déterminante. Le film est diffusé dans plusieurs festivals, ainsi que sur Lemedia.fr.
Aujourd’hui, je termine le montage de Like Heroes, un film plus intime, constitué des archives amateur filmées par ma tante Sylvie pendant près de trente ans. Voilà dix ans ce projet m’occupe, c’est un film de montage exigeant, émotionnellement et artistiquement.
En parallèle de mes films, j’anime régulièrement des ateliers de cinéma avec différents publics : étudiant.es, lycéen.es, jeunes en décrochage scolaire, habitants d’un quartier, mineur.es isolé.es. A l’université, ce sont des cours davantage théoriques centrés sur la réalisation ou le montage, alors qu’en atelier avec des scolaires ou des associations, le but est de réaliser un film collectivement, de l’écriture à sa diffusion. Ces activités d’atelier sont essentielles à ma pratique de cinéaste, elles la déplacent et la nourrissent. Toutes ces expérience d’ateliers et d’enseignements, ce sont des liens qui se créent, un propos collectif qui s’exprime dans un laps de temps relativement court. Là où parfois nos films mettent très longtemps à se fabriquer, dans un processus de travail assez solitaire, les ateliers de cinéma sont un endroit de création collective puissant, qui me régénère.